samedi 19 juin 2010

"Pour voir si c'était vrai"

"Mais pour que le bateau et l’homme ne fassent qu’un, totalement, il fallut, je pense, la Mousson de l’océan Indien où nous étions allés nous égarer candidement, “pour voir si c’était vrai”, un peu comme pour jouer.


Or, “c’était vrai”: la Mousson ne jouait pas. Nous avions alors remonté ensemble cet enfer de vents contraires pour pouvoir en sortir, tirant bord après bord, inlassablement, pendant six semaines."

C'est ainsi que commence "Vagabond des Mers du Sud", premier livre de Bernard Moitessier que nous vous invitons à lire. En solitaire, sur un bateau en bois de 9 mètres, et sans GPS ni fichiers météo, c'est bien entendu une aventure toute différente de la nôtre !

Sur Lafko, depuis Phuket en Thaïlande, nous nous entendions souvent dire "You're pretty late in the season".
Le registre de départ du port n'indiquait que des voiliers en partance pour la Malaisie, nous avions droit à des sourires perplexes lorsque nous indiquions notre destination en sens inverse.

A Port Blair, confortablement installés dans le profond canapé du Harbour Master qui nous offrit le thé, c'était : "The sea is rough now, the swell is well set, it could be quite difficult to reach Sri Lanka or Maldives". Le chef du port nous racontait ses souvenirs d'un japonais qui avait accompli la traversée contre la mousson quelques années auparavant. Il avait choisi de faire route plein Sud et de couper l'Equateur pour attraper les Alysées soufflants vers l'Ouest. Un très long voyage...

Quelques jours avant le départ, les journaux annonçaient que la mousson était bel et bien arrivée aux Andaman et que le cyclone Laila rodait au large des côtes orientales de l'Inde.

Le 21 mai dans l'après-midi, "the last yacht in the season" quitta donc Port Blair en direction de Malé, la capitale des Maldives. Un vent d'Ouest nous permettait de descendre rapidement la côte Est des Andamans et nous commençions donc à contourner les îles à la nuit tombée.

1262 milles nautiques en ligne droite nous attendaient, soit 10 jours de mer dans des conditions favorables à 5 noeuds de moyenne. Officiellement appelé "mille marin", le mille nautique correspond à 1852 mètres en moyenne... Tout est ici : http://fr.wikipedia.org/wiki/Mille_marin . C'est l'unité de mesure parfaite du globe-trotter ! Quand au noeud, c'est l'unité pour mesurer la vitesse d'un voilier, un noeud de vitesse correspondant à un mille parcouru en une heure.

Pour cette traversée pendant laquelle il faut veiller nuit et jour sur Lafko, nous nous sommes organisés en quarts de 21h à 9h du matin. Chacun d'entre nous est responsable de 2 quarts d'1h30. Ainsi par exemple, à la fin du diner, Antoine prend le quart de 21h à 22h30, puis vient le tour de Frédéric de 22h30 à minuit, Franck prend le relais de minuit à 1h30 et Florent termine de 1h30 à 3h. C'est ensuite Antoine qui reprend après 4h30 de sommeil. Et nous décalons tous les jours.
En journée, nous sommes tous sur le pont à partir de 10h, nous effectuons donc ensemble les manoeuvres.

Des manoeuvres, il y en a eu ! Il faut guetter chaque nuage et évaluer ce qu'il nous réserve : rien ? du vent ? de la pluie ? des éclairs ? Alors, on réduit la voilure ou on la maintient, on pique dans la tempête pour accélérer ou on l'évite pour préserver le bateau et le contenu de la casserole qui bout sur le feu...

La nuit, seul sur le pont, c'est différent. Sans lune, on ne voit le nuage qu'au dernier moment. On le sent avant de le voir, le vent change de direction, parfois de 40° ou 50°. On tente de maintenir le cap mais parfois le bateau part vers le Pakistan ou l'Australie ! On perd des milles sur la route directe, on recule !
La pluie nous aveugle, on ne voit plus voiles ni girouette, c'est "la nuit dans la nuit" comme le dira Antoine.

Puis vient le petit matin, on somnole, tranquillement réchauffé par le soleil qui se lève, un arc-en-ciel se montre à l'horizon et des dauphins jouent dans l'étrave. Magique !

Les jours passent, les avaries surviennent (Frédéric vous racontera ça bientôt), il faut réparer, parfois envisager de rejoindre un port de la côte indienne ou sri lankaise (Pondicheri, ça vous dit ? Aïe, on n'a plus de visa indien... Trincomalee ? La rébellion tamoule est-elle vraiment terminée ?) Nous continuons vers les Maldives, c'est décidé, le bateau tiendra...

Au bout d'une semaine, nous approchons du Sri Lanka. Nous commençons à mieux maitriser les systèmes météo. Nous récupérons des cartes prévisionnelles par téléphone satellite, détectons les zones de vents favorables et essayons de les rejoindre à temps pour en profiter. Les Pilots Charts US nous servent également, ces documents compilent 100 ans de relevés sur les vents et les courants dans toutes les zones du monde !
Frédéric y remarque un courant favorable à 130 milles à l'Est de la côte du Sri Lanka, nous nous y rendons et plaçons Lafko sur un tapis roulant ! Pendant quelques jours, nous avançons rapidement en direction du Sud, la pleine Lune illumine nos nuits et des poissons volants un peu déroutés atterrissent sur le pont ! Avec des vitesses de pointe de 60km/h, nous espérons ne pas prendre en pleine figure ces bolides aveugles ! Nous en trouvons jusqu'à 5 ou 6 sur le pont chaque matin. Un d'entre eux a même eu la bonne idée de tomber directement dans l'évier en rentrant par un hublot ! Tant qu'ils ne nous rejoignent pas dans nos couchettes...

Nous apercevons au loin des bateaux de pêche. Leurs lumières se distinguent facilement la nuit et il faut veiller à éviter les collisions, idem pour les cargos qui remontent vers Madras. Ils nous couperaient en deux sans s'en apercevoir !

Les pêcheurs sri lankais n'ont pas très bonne réputation dans le monde des voyageurs en voiliers. Avant de partir, nous avions tous lu "Unpleasant Encounters in Indian Ocean", témoignage d'un équipage français, qui indiquait avoir été abordé violemment à plusieurs reprises dans cette zone...

Nous sommes donc sur nos gardes. En fin de nuit, Franck observe ce qui semble être un bateau de pêche. Une fois à gauche, une fois à droite, il semble attendre que nous croisions sa route... Il se rapproche. Le soleil se lève, Franck nous réveille. Le bateau suspect est droit devant nous. A 300 mètres, puis 200 mètres... Il fait route pour nous rencontrer ! Nous démarrons discrètement le moteur pour pouvoir nous dégager si nécessaire. Le bateau se rapproche, droit sur nous. Une puissante étrave en bois, à 3 mètres au dessus de l'eau...
Nous choisissons de ne pas dévier notre route pour ne pas montrer un quelconque signe d'inquiétude. Le bateau de pêche passe à 20 mètres sur notre gauche et tourne à 90° pour venir vers nous. Il s'arrête à 10 mètres de Lafko. Nous comptons une dizaine d'hommes à bord qui nous montrent du poisson.

Que veulent-ils vraiment ? Nous ne le saurons pas. Peut-être de la simple curiosité, c'est vrai que nous sommes loin de la route "normale" empruntée par les voiliers et pas à la bonne saison. Nous sommes 4 à bord et un drapeau français bien visible...

Je leur adresse un "Hello" suivi d'un "Bye bye" bien distinct et Frédéric embraye le moteur pour donner un peu plus de vitesse à Lafko toujours sur le même cap. Le bateau de pêche s'éloigne alors en direction de l'Inde.

1h plus tard, pendant mon quart, un autre bateau viendra à notre rencontre. J'étais un peu assoupi ( ça arrive ! ) et je ne l'ai vu qu'au dernier moment. Il fait jour, les pêcheurs ont de grands sourires et semblent amusés de m'avoir réveillé. Je leur adresse un "au revoir" de la main et ils reprennent leur route.

Pendant les jours qui suivent, nous apercevons au loin des bateaux qui tentent assurément de venir couper notre route. Contre le vent et les vagues, ils sont bien ballotés et avancent moins vite que Lafko. C'est un petit jeu de parier si ils réussiront à venir à notre rencontre. Nous les voyons souvent abandonner à la jumelle. Une seule autre rencontre aura lieu, nous comprenons juste un "Where are you going ?" et répondons que nous allons en France :)

Début juin, nous coupons le rail des cargos qui circulent entre l'Asie et l'Europe. C'est une zone bien définie au Sud du Sri Lanka où les cargos doivent obligatoirement passer. Et oui, comme une autoroute !
Nous les comptons par dizaines ! Des porte-containers, des chimiquiers, des vraquiers, des super-tankers... Toutes les marchandises du monde défilent sous nos yeux. A partir du moment où nous les apercevons, ils mettent 9 minutes à couper notre route, une demi-heure à traverser l'horizon... Lancés à pleine vitesse et pesant des tonnes, ils sont très peu manoeuvrants sur de courtes distances. Nous sommes bien contents de couper ce rail en plein jour et perpendiculairement. C'est à celui qui verra le premier les cargos ! Un vert à droite, un rouge à gauche, un bleu droit devant ! "China Shipping Line", "MSC", "CMA CGM"...

Ca y est, le Sri Lanka est définitivement derrière nous. Nous avons parcouru les deux tiers de la route directe et le fichier météo prévoit des vents favorables pour rejoindre les Maldives à 140 milles dans l'Ouest. Si nous parvenons à rejoindre cette zone à temps, il nous resterait 5 jours de mer !

Mais nous n'y parviendrons pas ! Trop tard, les vents ont tourné et soufflent de nouveau exactement dans la direction opposée à celle des Maldives ! Chouette, encore du louvoyage ! (on vous explique bientôt ce qui se cache derrière ce mot étrange).

Nous sommes maintenant dans la bien connue ITCZ : Inter Tropical Convergence Zone, autrement dit, ce qu'on appelle le Pot au Noir dans l'Atlantique.
Dans cette zone proche de l'Equateur (nous sommes descendus jusqu'à 2°38 N de latitude), les conditions météo sont tout simplement imprévisibles. A bord, nous les définissons plutôt comme "prévisiblement variables" ce qui donne : 30 minutes sans vent, 20 minutes sous un orage qui nous emmène au Sud, 20 minutes sous une grosse averse sans vent (on sort les gel-douche) et re-20 minutes sous un orage qui nous emmène vers le Nord.

Ajoutez la nuit, les éclairs qui déchirent l'horizon, les manoeuvres nécessaires pour maintenir les meilleurs caps et vitesses possibles vers les Maldives et vous comprendrez que nous sommes bien occupés !

Certains jours, nous n'avançons presque pas sur la route directe tant les conditions sont défavorables, pas très bon pour le moral ! Nous passons alors en mode "régate", si il faut changer les voiles ou virer de bord tous les quarts d'heure, nous le ferons ! Les winches tournent, les poulies grincent, nous réduisons ou augmentons la voilure chaque fois que nécessaire.

En partant, nous avions estimé avoir 17 jours d'eau douce à bord en tablant sur une consommation de 4 litres par jour et par personne. Nous savions donc qu'il faudrait nous restreindre et peut-être finir le voyage en ne buvant que des jus de fruits ou du lait :)
Les jours passent et nous avons toujours de l'eau... Mystère...

Nous commençons enfin à nous rapprocher de la destination. 300 milles restants, 200 milles, 100 milles, nous célébrons avec joie le passage de ces distances toutes symboliques.

Puis vint le thazard ! En deux semaines, notre ligne de pêche n'avait accroché qu'un thon qui avait réussi à nous échapper en bondissant hors de l'eau pendant que nous tentions de le remonter à bord. Nous avions testé tous les types d'hameçons et de leurres en espérant améliorer un peu nos repas avec du poisson frais.
Un midi alors que nous venions de virer de bord pour échapper à un grain particulièrement violent, Antoine, finissant son traditionnel shampoing, s'écrit : "Un poisson, un poisson sur la ligne !"
Nous nous retournons pour apercevoir la bête. Très effilée, avec de forts ailerons, elle surfe dans le sillage de Lafko lancé à 8 noeuds dans la sortie du grain.

"C'est un petit requin !". "Non, un maquereau géant". D'un magnifique bleu, nous n'avions jamais vu ce poisson. Antoine continue à le remonter à bord et le jette dans le cockpit dans un dernier effort.
Notre capture prestement assommé à coups de manivelle de winch, nous consultons les livres de pêche présents à bord.
Un thazard ! 1m20 pour 18 kilos. Prédateur des grands fonds, pourvu d'une puissante machoire, sa chair est délicieuse.
Rapidement découpé, il finira dans nos assiettes cuisiné de multiples façons. Franck vous racontera cela bientôt !

Les Maldives se rapprochent à grande vitesse, le vent se montre plus docile, les dauphins nous montrent le chemin et nous finissons nos trois semaines de traversée le 11 juin vers 14h.

Un petit jeu pour finir : Combien comptez-vous de dauphins sur la vidéo ?



A bientôt !

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Magnifique histoire... vraiment magique. Frédéric, avez-vous reçu mon SMS? Il faut en parler si je vais faire le voyage. Sur tout par rapport aux dates - si j'arrive à Richards Bay le 29 aout et pars de Cape Town le 13 septembre, ça vous va? Toujours pas sûr, mais "I need your feedback."
Nathan

Jean-Gabriel a dit…

On prévoyait qu'il aurait des péripéties, on n'est pas déçu ! Bravo !

Les petits Chaîne a dit…

Trop bien la vidéo!! Merci de vous faire partager ça!

Enregistrer un commentaire

Chers visiteurs, tout l'équipage compte sur vous pour laisser des commentaires pleins de joie, de bonne humeur et de finesse. Merci ! et signez vos messages !

 
La charte du bord Liens Météo Livre d'or Administration