mercredi 1 décembre 2010

Une île au milieu de nulle part : Sainte Hélène

- Petit flashback -

Jeudi, 7h20 après un peu plus de 9 jours de mer, TERRE ! Devant l’étrave de Lafko, une masse très sombre sort peu à peu de la brume à l’horizon sur bâbord, une falaise de roche volcanique d’une hauteur invraisemblable, au milieu de nulle part… ou plutôt d’un océan, l’Atlantique.
Quelques nuages encore accrochés laissent peu à peu apparaître l’île en entier. A mesure que nous nous approchons, nous pouvons deviner sur les hauteurs une végétation très dense. On croirait ce morceau de terre oublié qui aurait échappé à la cartographie mondiale, comme jamais découvert ou sorti droit de l’imagination de Steven Spitzberg pour un scénario de Jurassic Park. Le monde perdu de Sainte Hélène ! On s’attend à tout moment à y voir surgir un tricératops ou autre créature imaginaire. A la jumelle on distingue les couches de lave empilées par les différentes éruptions du volcan qui a permis à l’île de se former il y a bien longtemps.

Derrière le cap, vers lequel l’étrave de Lafko pointe, la ville principale de l’île devrait se cacher, Jamestown. Nous ne voyons toujours aucun signe de vie, que de la roche tombant à pic dans la mer. Nous faisons une première tentative pour joindre le port à la VHF : « Port Control, Port Control for sailing yacht Lafko ». Pas de réponse. Un grain arrive ; une rafale impressionnante à plus de 30 nœuds avec des changements de direction viennent perturber nos derniers milles. 30 secondes plus tard (montre en main), plus rien, pétole, le grain est passé. Comment on fait pour naviguer avec des conditions pareilles ? Vu que le port n’est pas loin, nous affalons les voiles pour continuer au moteur… Nous doublons le fameux cap et découvrons une rangé impressionnante de maisons perchées sur un plan incliné à 20° à 400 mètres de haut, puis quelques corps morts rouge (bouées d’amarrage) à environ un mille devant nous… Aux pieds de la rangée d’habitation une baie, dans laquelle la petite ville de Jamestown est abritée.

Sur l’île pas d’aéroport, le plus proche est au niveau de la base militaire américaine de l’Ascension, à 3-4 jours de mer de ferry ce qui rend l’île l’endroit le plus isolé de la planète, et pourtant 4 000 hommes et des femmes vivent ici (nous avons eu un peu de mal à trouver le bon chiffre).
Autrefois, avant que le canal de Suez ne fût achevé, environ 1 000 bateaux y faisaient escale chaque année (soit presque 3 par jour). Aujourd’hui, seul le RMS Saint Helena, un cargo-ferry (marchandises et passagers) vient ravitailler deux fois par mois depuis Cape Town (parfois via Walvis Bay) les îliens avec les produits qu’ils ne peuvent pas fabriquer localement. Il met 4-5 jours depuis Cape Town, et 6-7 s’il passe par Walvis Bay. Les autres navires sont exclusivement des voiliers qui font plus ou moins la même route que nous vers le Brésil. Autrement dit, lorsqu’un bateau de plaisance entre dans la baie, rapidement tous les habitants sont au courant. Impossible de passer inaperçu. Sitôt avions nous mis le pied à terre que nous étions repérés… « A c’est vous le bateau bleu ? ».

Port Control, Immigration, Douanes… l’éternel rituel pour entrer dans un pays étranger avec un voilier. A Saint Hélène il y a une étape supplémentaire ; on vous demande la preuve que vous avez bien une assurance santé permettant de vous porter assistance s’il vous arrive quelque chose de grave sur l’île, vu que l’hôpital de Jamestown n’est pas vraiment prévu pour soigner de graves pathologies ou des blessés lourds. Si vous n’en n’avez pas, il est toujours possible d’en prendre une (~£1/jour) ou de s’en tirer en faisant une lettre où vous déclarez sur l’honneur que vous prenez entière responsabilité… En cas de problème de santé important les patients sont évacués d’urgence à Cape Town par… le RMS Saint Helena, soit entre 5 et 7 jours de mer face aux vagues ! Sport !
Une fois le parcours administratif, place aux choses un peu plus agréables : laverie, douche, resto, et si possible Internet. Grâce aux notes que nous avions pu glaner à Cape Town, nous avons pu savoir que le Consulate Hotel offrait des douches chaudes aux plaisanciers. Nous décidons donc de planter le camp au restaurant cet hôtel. Petit Fish & Chips (nous sommes en terre anglaise), et hop nous établissons le contact avec la patronne qui nous propose sans tarder deux salles de bain, dont une avec une baignoire ! Aussi, juste avant le repas, elle vient nous voir et nous offre un pain pour le bateau… 15 secondes plus tard, nous avions craqué (en attendant les plats), coupant déjà des tranches. La patronne est revenue quelques instants plus tard pour nous proposer de mettre le pain dans un sac en papier pour ne pas qu’il sèche… Premier contact avec les îliens… Mais comment est-ce possible d’être aussi gentil ?

Ici tout le monde se connaît, on s’y sent un peu comme en famille. Et lorsqu’un nouveau arrive, il est rapidement intégré. Chacun se salue dans la rue, se klaxonne sur un ton amical, connus ou inconnus, qu’importe, tout le monde est habitant de l’île.
Les Saints (c’est ainsi que l’on appelle les habitants) se font mutuellement confiance… totalement… inimaginable. « Tu ne peux pas me payer aujourd’hui, et bien ce n’est pas grave, repasse demain avec la somme ».

La micro société est parfaitement organisée : une poste, une banque, une station service, une école, une laverie, un petit hôpital assurant le strict minimum… Pas ou peu de concurrence entre les acteurs de l’économie. Chacun tient simplement sa place et c’est très bien comme cela. Loin de nous cette idée que le manque de concurrence pourrait favoriser une position de monopole de l’un ou de l’autre ; ici ce n’est décidément pas l’esprit. Du coup, pas de publicités dans les rues ! Pas non plus de besoins sophistiqués en dehors des produits de base. La petite économie de Sainte Hélène tourne tranquillement, peut être trop même ; vraiment nous n’avons pas réussi à nous habituer à l’idée que les premiers magasins ferment à 15h, les derniers à 17h. Du coup dès 18h, il n’y a plus une mouche qui vole en ville.

Les îliens prennent le temps, et beaucoup de temps pour les autres. Tout le monde se rend mutuellement service, c’est incroyable.
Vu de l’extérieur, on à l’impression que la micro société de Sainte Hélène est très saine… et bien franchement on ne trouve rien à dire si ce n’est que les problèmes de petite délinquance chez les adolescents qui finissent par tourner en rond un jour ou l’autre. Chaque année, les maigres subventions provenant du Royaume-Uni permettent à une petite poignée d’élèves (les plus brillants) de quittent l’île pour faire leurs études (souvent au Royaume-Uni), les autres restent, zonent et finissent trouver un petit boulot. Dernière anecdote au sujet de la petite délinquance… Ne jamais poster de cartes postales un vendredi ou un samedi, les jeunes de l’île trouvent souvent un malin plaisir à verser le contenu de leurs cannettes de bière dans les boites aux lettres… Mieux vaut donc confier vote courrier à quelqu’un de confiance qui pourra les poster ultérieurement à votre place.

Le vendredi soir on retrouve tout ce petit monde au concert du coin… comme une grande famille : la fille des douanes, la caissière du petit supermarché, la fille de la société d’assurance, et quelques visages croisés dans la rue quelques instants plus tôt.

Sainte Hélène beaucoup d’atouts ; le relief de Belle Ile, la variété d’espèces de Bréhat, le côté grande famille de l’île de Ré, le côté inaccessible de l’île d’Yeu, la végétation de la Martinique, le côté british de Jersey, le relief de la Corse… C’est juste incroyable, tout cela au même endroit.

On se sent ici comme dans un petit village de haute montagne, le froid en moins, la mer en plus.
Sainte Hélène est une île improbable, qui ne fait ni partie du continent africain ni du contient américain, située à des centaines de milles de la première terre si l’on fait exception de sa petite sœur l’île de l’Ascension à 700 milles au Nord Ouest (1 mille = 1,852 km).

La monnaie est la Livre Sterling de Sainte Hélène qui a un taux de change fixe avec la Livre Sterling anglaise et qui ne peut être obtenue qu’à Sainte Hélène ou l’Ascension. Cette monnaie est distribuée par la Bank of Saint Helena à Jamestown, pas d’autre établissement et encore moins de distributeur automatique de billet (ATM) sur l’île.

Au niveau des moyens de communication, pas de réseau téléphone GSM (même s’il est parfois possible de recevoir des SMS juste sur le site du Pavillon de Briars situé non loin de la Cable & Wireless Company, mais nous n’avons pas réussi à comprendre comment cela était possible). Concernant Internet, ça fonctionne, mais à une lenteur à décourager les rares occidentaux de passage. Certes, les moyens sont assez rudimentaires, pourtant on trouve quant même une radio sur l’île, Saint FM, la seule radio de l’île, qui émet de 90.0 MHz à 96.0 MHz (autrement dit extrêmement large), et qui couvre la diffusion sur l’archipel Tristan Da Cunha (bien au sud de Sainte Hélène) et les Malouines au large de la Terre de Feu. L’arrivée de Lafko et sa bande de french sailors n’est tellement pas passée inaperçue que nous avons eu le privilège d’être reçu à la radio par Mike pour une interview pour dire quelques mots sur le projet Lafko (Malaisie > France) ! Premier micro de Lafko... dans la langue de Shakespeare. Après la Lafko TV, la Lafko Radio, on se diversifie ! Concernant les numéros de téléphone, quatre chiffres suffisent, tout comme les plaques d’immatriculation des voitures (minimum un chiffre, maximum quatre).

Et nos rencontres ? Comme souvent, nous sommes surpris par les personnes que nous rencontrons. Le monde est décidément peuplé de gens sympa !
Nous venons d’évoquer Mike, très drôle, qui gère la radio de manière très décontract, en tongs ! Nous avons aussi rencontré Fay qui travaille dans les aspects sociaux (sensibilisation des jeunes à des sujets importants : sexualité…). Elle a découvert l’île dans les années 90 et a tout fait pour y revenir. Aujourd’hui mariée à un sud africain, ils se sont établis sur l’île pour 3 ans. Nous avons passé un bon moment avec elle vu que c’était le week end… Les adieux furent un peu déchirants, pour marquer le coup elle nous a même fait un gâteau aux pommes que nous savourons aujourd’hui sur le bord avec nostalgie. Nous avons également fait la connaissance de Bishop John Salt (Oratory of the Good Shepherd) de manière totalement inattendue : Qui aurait cru que nous aurions pu le rencontrer au Donny’s Place (seul endroit branché de l’île sur le front de mer) vendredi soir ? Une cigarette dans la main, une bière dans l’autre, il a commencé par nous payer sa tournée… visiblement il était très heureux de voir des croyants de passage sur l’île ! Catholiques, Anglicans, la frontière n’est décidément pas loin entre nos deux églises… Nous avons même fait une célébration avec lui samedi soir avec l’évangile du dimanche.

Nous avons croisé quelques français des sociétés Can et Jet Systems. Can est une entreprise française de BTP mandatée pour grillager la falaise aux abords de Jamestown, améliorer le port pour permettre d’acheminer les matériaux en vue de la construction de l’aéroport… ah l’aéroport, voila un sujet qui fait couler beaucoup d’encre chez les îliens… certains sont pour, d’autre non à cause des changements qu’il risque de générer dans l’île.

Nous avons tenté de rencontrer le Consul de France à Sainte Hélène, Michel Martino, visiblement il n’était pas disposé à nous recevoir...

Nos voisins de mouillage sont deux catamarans partis d’Afrique du Sud. Le premier équipage est majoritairement composé d’australiens : un couple (Johann et Henriette) et deux amis venus leur prêter main forte jusqu’aux Antilles. Ils prendront ensuite la route de l’Europe pour deux saisons complètes. Leur voilier, un Leopard 46, baptisé Scolamanzi a été construit en Afrique du Sud. Il est bourré de technologie : lave vaisselle, désalinisateur, sonar à poissons, congélateur, téléphone satellite… Nous avons sympathisé avec eux et voyant que nous ne sommes un peu mal chaussés en terme de matériel de pêche, ils nous ont donné de quoi mettre un peu de poisson dans nos assiettes. Nous échangeons nos emails téléphone satellite en espérant se retrouver aux Antilles (certainement aux Grenadines).
Le second catamaran vient aussi d’Afrique du Sud, l’équipage est compose d’un convoyeur (qui fait le trajet vers les Antilles environ 4 fois par an) et un équipage de 3 personnes venu lui prêter main forte.

Et puis il y a André et Charly, également sud-africains, qui n’ont pas leur bateau au mouillage mais sur le quai ! Eux, c’est une autre affaire. Partis des Pays-Bas, ils sont tombés plusieurs fois en rade de pilote automatique avant de terminer à barrer en continu entre Dakar et Sainte Hélène (soit 1950 milles)… Au final, lorsqu’ils sont arrivés à Sainte Hélène, ayant un doute sur la solidité de la partie avant de la coque immergée, ils ont plongé et découvert des zones importantes de fragilité. Obligé de gruter le bateau avec les moyens du bord, ils sont aujourd’hui contraints de rester à Sainte Hélène le temps des réparations…

Enfin, il y eu Robert, chauffeur de taxi qui nous a proposé un tour de l’île : « d’habitude c’est £12 le tour, mais pour les plaisanciers, je fais £10 parce que je sais qu’ils n’ont pas de sous »… Et hop c’est parti pour Le Pavillon de Briars (première demeure de Napoléon Bonaparte sur l’île), Longwood (dernière demeure de l’Empereur). Nous avons également fait un court passage sur la tombe où il fut inhumé avant que la France ne récupère son corps qui repose aujourd’hui sous le dôme des Invalides.
En fait, nous avons essayé de louer une voiture sur l’île (vu que ce n’est pas très cher : ~£10/jour), mais elles étaient hélas toutes déjà louées… on se demande un peu comment cela est possible vu le nombre de touristes sur l’île.

Samedi nous avons entrepris l’ascension du Diana’s Peak, le point culminant de l’île (823 mètres). Pour raccourcir un peu le trajet nous nous sommes fait pousser en voiture par Fay et Bishop John… afin d’avoir le temps de le faire dans la journée. Sur chacun des 10 plus hauts sommets de l’île se tient une petite boite avec un toit en zinc abritant un tampon de l’endroit. Nous avons donc tamponné les quelques cartes postales que nous avions sous la main… En fait, si l’on réfléchit bien, comme l’île de Sainte Hélène est l’endroit le plus isolé de la planète, cela fait du Diana’s Peak… le point le plus paumé du monde vu qu’il faut un certain temps pour l’atteindre.

On se souviendra enfin des soirées au Ann’s Place (restaurant - café) où l’on peut composer de grandes tablées à l’improviste, faire un peu d’Internet, acheter des timbres…

Il faut maintenant reprendre notre route. Petite douche, et hop nous reprenons l’annexe en direction de Lafko… cap sur l'île de l'Ascension.

Jean-Christophe

3 commentaires:

Marie S a dit…

Petit flashback!!!!! Mais grand récit.
Merci.

Arnaudesau a dit…

JC, spécialiste des exils napoléonien...

A bientôt ! (3 semaines !!)

Arnaudesau a dit…

"s"

il s'est perdu entre ici et Fortaleza

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